"LE P’TIT COUP DE BOL!''
Jacques Guichard, équipier vainqueur du Bol d’Or 2019, revient sur son expérience épique à bord de Spindrift racing
📸 Chris Schmid/Spindrift racing
On se souviendra longtemps de la 81
e édition du
Bol d’Or Mirabaud à bien des égards :
la victoire pour North Sails en catamaran avec Spindrift racing et en monocoque avec Libera Raffica,
le coup de tabac d’une violence rare qui a causé de considérables dégâts matériels : sur les 465 concurrents engagés, près de la moitié de la flotte a déclaré forfait en raison de nombreuses avaries de gréement, chavirages et hommes à la mer, et enfin
le dernier tour de piste en D35 qui laisse désormais la place au TF35, un catamaran volant nouvelle génération pour la saison prochaine.
Jacques Guichard, expert technique voile chez North Sails et équipier vainqueur du Bol d’or Mirabaud 2019 à bord de
Ladycat powered by Spindrift racing (garde-robe North Sails) nous livre ses impressions sur cette édition d’anthologie.
Jacques Guichard 📸 Chris Schmid/Spindrift racing
Votre équipage remporte le prestigieux Bol d’or Mirabaud en 10 heures, 36 min et 21 sec dans des conditions assez rocambolesques, qu’avez-vous ressenti après cette victoire ?
Je participe au Bol d’or depuis 2009 et c’est ma quatrième victoire en D35. Celle-ci a forcément une toute autre saveur, elle est d’autant plus belle qu’on a réussi à maîtriser et la tempête et la course. J’avoue qu’on ne s’est pas senti serein pendant le front orageux même si on était en tête de flotte sur l’ensemble du parcours ou au moins parmi les quatre premiers. En même temps sur le lac, il ne faut jamais avoir confiance tant qu’on n’a pas franchi la ligne d’arrivée. On peut se retrouver devant en début de course, puis perdre toute l’avance car on tombe dans une zone de pétole tandis qu’à 100 mètres près, on passe à côté d’une risée qui profite à un concurrent. Le Bol d’or porte bien son nom : il faut un p'tit coup de bol pour gagner cette épreuve, et cette édition 2019 était particulière au vu des conditions météos. Même les Suisses nous confient qu’ils n’ont jamais vu une tempête aussi impressionnante sur le lac Leman en 50 ans. En tout cas, notre équipe a mérité cette jolie victoire qui signe également la fin de 13 années d’aventure de
Ladycat powered by Spindrift racing en D35.
Comment avez-vous vécu la course ?
Les conditions étaient plutôt clémentes et légères avant l’orage : ciel dégagé et vent variable de 3-5 nœuds. Dès le début de la course, nous étions bien placés, et nous avons toujours été dans le match même après le grain. On est passé en tête de flotte au Bouveret (bouée de passage), et là on avait une belle avance sur nos concurrents qui se trouvaient à environ 10 miles derrière nous. Ensuite, le coup de tabac a duré près d’une heure. On s’est mis en « mode survie » pendant 15 minutes au plus fort de la tempête (rafales à plus de 50 nœuds) où il fallait à tout prix éviter de chavirer, casser du matériel à bord ou heurter les autres bateaux.
Comment avez-vous géré l’arrivée du grain ?
Je n’ai jamais vu un grain aussi fort, même en mer. C’était complètement apocalyptique. À l’arrivée du grain, le ciel s’est chargé en électricité statique, et on prenait des décharges partout à bord. Puis une masse nuageuse s’est abattue soudainement sur nous avec un vent allant de 3 à 12 nœuds en l’espace de 30 secondes, puis forcissant à 30 nœuds allant jusqu’à 45 nœuds. On est parvenu à retendre le gréement et à changer la première voile d’avant mais nous n’avons pas eu le temps de prendre un ris. Le vent a commencé à s’engouffrer et les premières risées sont arrivées. On n’a même pas eu le temps d’avoir peur tellement l’orage était soudain et violent. C’était vraiment surprenant. Pendant le premier quart d’heure, on ne voyait pas à 20 mètres. Il faisait presque nuit noire. Il s’est mis à tomber des grêlons de la taille d’une bille, puis de grosses vagues se sont formées avec des creux de 1m50. Le premier coup de vent violent est monté à 50 nœuds. Au plus fort du grain, on s’est retrouvé en cat-boat avec la grand-voile haute. C’est là où je me suis dit qu’on allait chavirer. Nous avons réussi à nous mettre à la cape. Mais on a eu peur que le bateau casse. Nous étions à la dérive en marche arrière et il fallait éviter les monocoques qui arrivaient au portant.
Et pendant la tempête?
C’était un tableau chaotique sur fond de ciel et mer noirs entre les nombreux voiliers qui démâtaient, chaviraient, certains ont même coulé, et la fumée des feux de détresse en raison de personnes tombées à l’eau. La visibilité était tellement mauvaise qu’on craignait de percuter des monocoques à la dérive, couchés sur leur flan. Et ils étaient nombreux. Nous n’étions pas manœuvrants et eux non plus, mais grâce au vent, les monocoques sur notre passage dérivaient vers l’arrière. Parfois, ils passaient à près de cinq mètres et on pensait vraiment les toucher. On a eu un sacré coup de bol que tout se soit bien passé malgré ces conditions assez effrayantes.
Des dégâts à bord ?
Contrairement à d’autres équipages, on n’a pas eu trop de gros dégâts à bord bien que les D35 soient plutôt conçus pour le petit temps. Au bout d’un quart d’heure quand le vent est tombé à 35 nœuds, on a renvoyé le foc, mais il n’a tenu que 3 minutes. On s’est retrouvé avec un foc déchiré comme nos deux concurrents derrière nous. Mais même déchiré, il a bien tenu. On a navigué le reste de la course avec une surface de voile plus réduite, et notre GV, une voile
3Di North Sails efficace dans le vent léger, en revanche inadaptée dans le temps fort, a étonnamment résisté à la violence de la tempête. Car on a vraiment cru qu’elle allait exploser. Pour le coup, c’est aussi une voile solide !
📸 Chris Schmid/Spindrift racing
Pensez-vous que le comité de course aurait dû annuler la course ?
En 81 éditions, les Suisses n’ont jamais annulé de Bol d’or, question de mentalité ! En France, il y aurait eu de fortes de chances que la régate n’ait pas eu lieu. Tous les équipages étaient informés depuis quatre jours d’un coup de tabac qui allait balayer le lac, mais personne ne savait exactement à quoi s’attendre. On se doutait que ça allait être gros, mais pas aussi puissant et violent. On peut toujours remettre l’organisation en cause à savoir s’il fallait annuler ou pas mais chacun est maître de son bateau, et c’était de la responsabilité des équipages de prendre le risque de régater ou pas. Fort heureusement aucun drame humain n’est à déplorer.
Le championnat en D35 se termine cette année. Allez-vous participer au Bol d’or 2020 à bord de son successeur le TF35?
Oui, c’était la dernière année des D35 pour le championnat. Le nouveau support pour l’année prochaine, le TF35, est un catamaran volant nouvelle génération ! Nous avons déjà commandé le nôtre et Spindrift fera toute la saison avec ! Ça va être passionnant de travailler sur le design des voiles et de pouvoir ensuite profiter de mon travail sur l’eau.